2 groupes de niveau sont constitués. Echauffement pour tous en direction de la piste. Je pars de mon côté en voiture pour rejoindre le Kamariny. Pour moi, ce sera 3 fois 5 minutes sur l’herbe en sens inverse. Pendant que je commence à faire des tours sur une allure de 10 km/h environ, le premier groupe avec Bob arrive. Ils ont fait 9km en 40 minutes, ce n’était pas trop un échauffement, les chevaux étaient lâchés. Tout le monde était impatient de découvrir la piste rouge, les chemins vallonnés ont fait le reste.

Les groupes de niveau sont constitués et évolueront en fonction de la fatigue et des séances. « Il n’est pas question que tout le monde fasse la même séance, les niveaux sont trop différents. »

BOB STADE

Je ne ressens aucune gêne ni douleur. Je suis super content. Je respecte à la lettre la séance ainsi que les temps de récupération. Je profite au maximum et sens quand même que je manque de rythme et que l’altitude fait monter plus rapidement mon cardio. Après quelques étirements, qui ne ciblent pas mon mollet, je me transforme en reporter photo pour le groupe 1. Je récupère quelques appareils photos et Go Pro et les suit dans leur séance de synchronisation, de coordination et de montées d’escaliers dans les tribunes du stade. Une chose me marque au premier coup d’œil avec les pistards kenyans qui continuent d’enchainer les tours de piste : c’est leur pied. Bob parle de « pied fort » mais ils ont développés naturellement une souplesse dans leur cheville. Ceci peut s’expliquer par les chemins accidentés sur lesquels ils s’entraînent depuis qu’ils sont tout petits. Les pierres, le sable et le dénivelé  habituent le pied qui doit s’adapter au terrain. Ils courent la plupart sur la pointe des pieds et avec un temps au sol très faible. Ils sont également très secs avec des mollets et cuisses dessinées et longilignes.

On rentre par le petit sentier vers 19h. Certains enfants portent des bidons d’eau, ils ont toujours le sourire et nous dise « Jambo ». La nuit commence à tomber sur la vallée. La lumière est magique. Je croise Medhi que j’ai connu à une pasta party sur le chemin du retour, on aura l’occasion de se recroiser plus tard. Il reste à Iten pendant 3 semaines.

Je mérite une bonne douche. Je suis rempli de poussière, c’est ça le bronzage à la kenyane, la marque des chaussettes et les doigts de pied ocre. La serviette blanche s’en souvient encore, elle est toute rouge malgré la douche.

Après le repas, c’est l’heure du debriefing. Retour sur la séance, tout le monde est motivé et une bonne ambiance se ressent dans le groupe.

Notre corps doit tout d’abord s’acclimater à l’altitude. J’ai un peu d’expérience de ce côté-là suite à mon ascension du Kilimandjaro en juillet 2012 et mon voyage au Népal avec le tour des Annapurnas réalisé en mai dernier. En général, j’arrive à plutôt bien m’adapter. Bob nous explique que c’est très personnel. Des recherches poussées ont été effectuées sur son organisme, il a des prédispositions naturelles à s’adapter à l’altitude. Son père étant un berger berbère vivant à 2 500 mètres, il aurait génétiquement ça dans ses gênes. Il s’acclimate environ en 2/3 jours tandis que son pote Medhi Baala commençait à se sentir bien au bout de 15 jours environ. Nous sommes donc loin d’être égaux. Les effets de l’altitude sont les suivants : augmentation des globules rouges et amélioration du transport d’oxygène vers les muscles. Le rythme cardiaque a également tendance à grimper plus rapidement lors d’un effort. Notre séjour est bien trop court pour connaître les effets bénéfiques en termes de globule. Il faut en général environ 3 semaines pour avoir de réel résultat. Mon but ici est vraiment de vivre au quotidien avec un champion, de voir le parcours d’entraînement des kenyans et de récupérer quelques conseils avisés pour améliorer mes performances.

Bob nous raconte alors quelques anecdotes et revient en détail sur l’année qui a précédé sa médaille de bronze aux championnats du monde de Berlin en 2009 (Record d’Europe en 8m01s18). J’ai les images de cette ligne droite dans la tête mais avant ça, c’est des années de travail et de sacrifice. Le groupe est subjugué et admiratif. Je mange ses paroles, pas un bruit dans la salle. Je me sens encore plus que privilégié de passer une semaine avec un grand champion.

« A la sortie des JO 2008, où je finis 5ème, je me suis vraiment demandé si ça valait le coup de continuer. Partir en stage 4 mois de l’année, la plupart du temps seul ou sans amis, loin de ma famille, même si t’aimes ça, quand ça ne paie pas, c’est très dur. »

Bob a arrêté de courir pendant 2 mois, il se pose des questions sur son avenir, il a 30 ans. Son entraîneur, Jean-Michel Dirringer,  l’appelle et lui propose un débriefing. Il lui précise qu’il a bien analysé toutes ses courses et que la médaille s’est jouée sur le passage des haies.

« Si tu gagnes 1 dixième de seconde à chaque haie, en sachant qu’il y a 35 passages, tu peux gagner plus de 3 secondes et demi. Et ces secondes sur un 3 000 m steeple, c’est ce qui sépare un finaliste d’un médaillé olympique. Moi j’étais très réticent à l’idée et je ne savais vraiment pas si j’allais continuer. Malgré tout, je reprends l’entraînement comme chaque année avec du foncier, de la PPG, de la VMA courte et longue avant d’attaquer un travail spécifique sur les haies. La veille du meeting de Metz, mon entraîneur me dit que demain je fais 8m02s50, soit un nouveau record de France. Je lui dit mais arrêtes, pas chez moi à Metz. Pour faire ce temps, j’ai besoin d’une grosse course. Il me répond t’inquiète, je briefe les lièvres et tu verras ! Je fais 8m02s19. Plus tard, mon entraîneur veut que je fasse un 3000m sec pour avoir une nouvelle base de données. Je vais donc faire le meeting de Monaco où je fais 7m33s ».

Bob pars ensuite à Font Romeu dans les Pyrénées pour finir sa préparation. Ensuite, direction Berlin pour les championnats du monde.

« Ce jour, je m’en souviendrai toute ma vie. Mon entraîneur qui a fait la séance à vélo avec moi me dit : d’après mes calculs (pour lui l’athlé c’est des mathématiques), tu vas être champion du monde. Mais arrête, je ne vais pas être champion du monde je lui réponds. Il me dit si, tu vas être champion du monde et je t’expliquerai pourquoi la veille de la course. Arrivé aux championnats du monde, il y a la course de qualif le matin à 9h30. Je descends alors au petit-dej à 6h30 et mon entraîneur, qui déjeune toujours avec moi, n’est pas là. J’attends alors 10 min puis décide de déjeuner seul. Avant de prendre le bus pour le stade, toujours pas d’entraîneur. Je décide alors de l’appeler et je lui demande pourquoi il n’est pas là. Il me répond qu’un champion du monde n’a pas besoin de son entraineur pour une course de qualif.

2 jours après a lieu la finale. Mon entraîneur me dit alors que je vais être champion du monde car pour me battre, il faudra battre le record des championnats. Il me demande de respecter une tactique de course bien précise : tu passes 5ème aux 1 000, 3ème aux 2 000, puis plus personne te passe devant. En chambre d’appel, c’est un mélange de peur et de confiance mais j’ai le trac. Je vois les autres faire des trucs, s’étirer avec de grands mouvements, ou prier. Je me dis : craques pas maintenant, restes dans ta bulle, ne les regarde pas. Lors de la course, je fais tout ce qu’il m’a dit et, lors de la dernière haie, alors qu’il ne reste plus que 70m derrière et que je passe toujours les haies avec le pied gauche; et bien là, je la passe avec le pied droit et je repasse 4ème.

Je me dis que là ce n’est pas possible, ce n’est pas possible et je donne tout et finis 3ème en battant mon record et le nouveau le record d’Europe (chose très difficile en championnat) alors que les 2 premiers battent le record des championnats. Et bien, j’ai fini déçu car je voulais être champion du monde, même si je suis médaillé. »

La morale est la suivante : « Je vous dis tout ça pour vous faire comprendre et vous dire que c’est très important d’avoir un entraîneur, qui que l’on soit, pour échanger, partager, avoir plus confiance en soi et que l’aspect psychologique est très important. »

Après cette belle histoire, couché à 23h, le programme de demain est chargé et commence par la fameuse séance à jeun à 6h30. J’irais au stade de mon côté faire des tours de piste.

Mardi 10 mars 2015 :

Réveil à 6h. Je suis debout quelques minutes avant les premiers chants des oiseaux. J’apprends par les informations qu’un hélicoptère de l’émission « Dropped » s’est écrasé en Argentine. 3 grandes personnalités du sport : Florence Arthaud, Camille Muffat et Alexis Vastine sont décédés. Bob avait été contacté par la production pour effectuer cette émission, cela fait froid dans le dos.

Je pars à 6h30 sur le sentier en compagnie d’Anthony qui a ressenti hier une petite douleur, il ne prend pas de risques et fera également des tours de piste. On croise rapidement des étudiants en uniforme bleu qui partent à pied ou en courant en direction de leur école. Ils sont dans l’école située juste à côté du stade. J’ai l’impression de vivre le documentaire  sorti en 2013 « sur le chemin de l’école ». C’est l’histoire de ces enfants qui vivent aux quatre coins du globe mais partagent la même soif d’apprendre. Ils ont compris que seule l’instruction leur permettra d’améliorer leur vie, et c’est pour cela que chaque jour ils se lancent dans un périple à haut risque qui les conduira vers le savoir. Un des 4 portraits se passe d’ailleurs au Kenya où Jackson, 11 ans, parcourt matin et soir quinze kilomètres avec sa petite sœur au milieu de la savane et des animaux sauvages

Mon programme au stade est le suivant : 2 fois 10 minutes puis 1 fois 5 minutes avec marche active de 3 minutes. J’accélère un peu le rythme par rapport à la veille. Pas de douleurs. Je rentre à pied avec le groupe 2 et termine les exercices d’étirement devant la salle de sport de l’hôtel.

Bonne douche puis petit déjeuner à 8h30. Je fais examiner rapidement mon mollet par Bruno. Pas d’alertes ni de problèmes. On repart ensuite en petit groupe en direction du stade. Sur le chemin, on croise beaucoup d’athlètes avec des chaussures légères ou des pointes dans leur main. Ça risque d’envoyer sur la piste. Le stade s’est bien remplit depuis ce matin. Il y a déjà plus de 150 athlètes dont un grand peloton de plus de 30 coureurs qui enchaînent les 800 mètres sur un rythme effréné. Un nuage de poussière se forme devant le passage incessant des pointes, c’est très impressionnant. Les photos font leur effet. Après l’effort, ils se regroupent au centre de la piste. Certains se tapent les mollets avec des branches pour faire partir la poussière.

COURSES COURSES1

Vers 10h30, je croise Brother Colm O’Connell. Je prends une photo avec lui. J’ai eu l’occasion de voir des reportages qui montrent son parcours. Ce missionnaire Irlandais s’est installé à Iten en 1976 et a formé les plus grands athlètes Kenyan. Au départ, « Je ne connaissais rien à l’entraînement quand j’ai commencé, mais j’ai appris en regardant les athlètes ». Il dirige la Saint Patrick’s High School et a formé les athlètes dans la liste ci-dessous : Edna Kiplagat, Florence Kiplagat, Lornah Kiplagat, Linet Masai, Mary Keitany, Ibrahim Kipkemboi Hussein, Peter Rono, Matthew Birir, Haron Lagat, Janeth Jepkosgei, Viola Kibiwott, Brimin Kipruto, Joseph Tengelei, Isaac Songok, Wilson Boit Kipketer, Vivian Cheruiyot, Michael Kipyego, Augustine Kiprono Choge, Wilson Kipketer and David Lekuta Rudisha, les frères Chichir … Un seul point commun : tous ont été champions olympiques, champions du monde, recordmen ou recordwomen du monde.

On charge la voiture, avec laquelle Brother Colm est venu. On avait regroupé la veille les fournitures dans la salle de conférence. Cela va faire des heureux. Guillaume et Alexandre ont notamment réussi à récupérer des fournitures provenant d’une collecte et d’une presse qui allait fermer. La voiture est celle de David Rudisha, détenteur du record du monde du 800 mètres en 1m 40s 91. Cette fameuse finale olympique de Londres est entrée dans la légende, Rudisha y réalise la course parfaite. Il part à block dès le premier tour, personne ne peut le suivre et réalise une dernière ligne droite de folie.

ECOLE FRERE

Bob fait venir 5 matatu (minibus), on part faire la visite de l’école primaire de Chebonet. Elle est isolée par rapport à la route et située en périphérie de la ville. Brother Colm préfère que l’on distribue les fournitures à cette école plutôt qu’à la plus médiatique Saint Patrick’s High School qu’il dirige. Nous sommes accueillis par le directeur de l’école ainsi que par des professeurs. Ils regroupent une table, on commence à y positionner l’ensemble des fournitures. Je suis un peu gêné de cette démarche car des chaises ont été positionnées tout autour de la montagne de fournitures. Cela fait un peu le groupe de touriste blanc qui s’installe. Rapidement, les 150 étudiants en bleu et orange se regroupent et commencent à chanter, c’est très émouvant et cela donne la chair de poule. Une des chansons contient dans son refrain les mots Alléluia et Jésus Christ. Dans un second temps, les fournitures sont distribuées aux délégués de chaque classes. On commence ensuite à faire des selfies et à jouer avec les enfants. Certains les photographient avec leurs lunettes de soleil leur donnant un look sympa. Ils doivent avoir entre 6 et 7 ans. Je pars visiter les salles de classe. Certaines sont vraiment spartiates, en terre battue et sans pupitre. D’autres ont des affiches avec la présence de mot en anglais ou de forme mathématiques.  On reste environ une heure et demie.

ECOLE1 ECOLE2

J’ai ensuite rendez-vous à 15h avec Craig à la Iten Primary School. Je suis en contact avec lui depuis quelques semaines et avions réussi à se fixer un rendez-vous. Je propose à Jérôme, mon compagnon de chambre, de m’accompagner. Cela tombait bien, il a raté la visite de ce matin car il s’est fait masser par Hilary, le masseur de Bob. J’ai un sac de 19 kg de vêtements pour les enfants. Craig envoie donc une voiture nous chercher à l’hôtel. L’école est a environ 2 kilomètres. Sur le modèle anglais, les écoliers portent l’uniforme. Les couleurs sont en fonction de l’établissement, ici c’est le bleu marine et le blanc.

ECOLE3 ECOLE4

Nous visitons quelques salles de classes. La majorité ont été rénovées l’été dernier lors de la venue de Nathalie par l’intermédiaire de l’association Fungana. Elles ont été peintes et les sols ne sont plus en terre battue. John et Craig sont fiers de nous montrer également 2 grandes citernes qui permettent de stocker l’eau. L’école compte 353 garçons et 383 filles pour un total de 8 classes. En faisant rapidement le calcul, le ratio d’élèves par classes est légèrement supérieur au standard de l’éducation nationale. On interrompt timidement quelques classes pour se présenter. Tout d’abord en classe de mathématique, en sciences ou en anglais. L’équipe de l’école est composée de 28 personnes. Ici, l’enseignement est effectué dans 3 langues : l’anglais – le swahili et le Kalenjin. Les classes sont mixtes du lundi au vendredi de 8h20 à 15h30 avec 2 pauses et le déjeuner. La visite est vraiment différente de ce matin. Sur la fin, on visite la cuisine. C’est vraiment impressionnant, la salle est minuscule et composée d’un four alimenté par le bois ou il règne une chaleur étouffante. Craig nous présente Lydia, qui s’occupe du repas des élèves. J’ai vraiment du mal à m’imaginer comment elle peut réaliser un repas pour autant d’élèves dans ces conditions. Elle me propose de venir manger avec eux. J’accepte avec plaisir de venir manger l’ugali, plat national que j’avais goûté en Tanzanie. Ce sera très certainement jeudi midi car demain le safari est au programme.

primarycuisine

L’ugali est un aliment de base traditionnel présent dans tout l’Est de l’Afrique. Il essentiellement constitué de farine cuite à l’eau et agglomérée en boule. La farine est le plus souvent issue du mais ou du mil. Il est dit blanc avec de la farine de maïs et brun avec de la farine de mil. Il est en principe accompagné par des légumes éventuellement avec de la viande ou du poisson. Les légumes et féculents permettent de constituer un repas équilibré.

Notre rentrons sur les coups de 16h30, juste le temps de se changer avant la séance spécifique de 17h. Ce sera de la VMA, des côtes ou de la PPG selon les niveaux. Je cours toujours au stade cette fois-ci durant 20 minutes puis 10 minutes en accélérant progressivement tous les 400 mètres. Je n’ai pas de douleurs. A la fin de la séance, Bob me précise que j’intègre après demain le groupe 2, je suis super content. Une partie du groupe croise dans la salle de sport : Wilson Kipsang Kiprotich, vainqueur des marathons de Londres, Berlin et New York. Son record est de 2h03m23s et de moins d’1h sur semi-marathon.

Au débriefing habituel du soir, le footing du matin est annoncé à 6h15 pour environ 30 minutes. Ensuite, petit déjeuner et départ à 7h30 pour le safari au lac Baringo pour 5 000 schillings soit environ 50 €. Nous partons à 3 matatus soit environ 20. Les autres décident de rester à Iten et de continuer à s’entraîner ou de se reposer. De mon côté, cette journée plutôt cool au niveau entraînement me permettra de récupérer avant de reprendre sérieusement les affaires jeudi matin.

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